Le Petit Québec d'Haïti (politique fiction)

Le Québec avait accueilli, malgré lui, un grand nombre de réfugiés? de faux réfugiés? de migrants? On ne savait plus comment les appeler. C'était en majorité des Haïtiens et des Haïtiennes, parfois des couples avec deux enfants, qui avaient profité des largesses du gouvernement canadien qui laissaient grandes ouvertes les portes de l'immigration, de l'invasion, les portes qui ressemblaient à des passages à la frontière.

On avait même aménagé un petit chemin pour leur faciliter la voie et ils étaient accueillis par de solides gaillards de la Gendarmerie Royale transformés en portier d'hôtel. Même si officiellement on leur disait que c'était illégal, en réalité, après un bref interrogatoire et une vérification sommaire, les futurs Canadiens de papier étaient illico embarqués dans des autobus climatisés et étaient conduits à Montréal, la ville sanctuaire, où une flopée d'organismes s'occupaient à leur fournir logements, nourriture, carte pour l'assurance santé. On les aidait aussi à remplir les formulaires pour l'obtention du statut de réfugié. C'était presque affaire conclue dans leur cas. 

Le plus souvent, ils allaient habiter à Montréal-Nord où une communauté serrée d'Haïtiens les prenait en main, les rassurait, leur expliquait les usages et les mœurs locaux. Ils n'allaient rencontrer les Québécois qu'occasionnellement, peut-être un prof du secondaire, puisque les francophones avaient fui cette ville, mus par une sorte d'instinct de survie collective. Ils poursuivraient leur vie d'exilés, entendraient parler de la réussite de Toussaint Dessalines, l'écrivain ayant gagné le Goncourt et descendant de Jean-Jacques Dessalines, premier empereur d'Haïti, et peut-être deviendraient chauffeurs de taxi. Il y avait le danger des bandes organisées. Combien d'entre eux, parmi les jeunes, glisseraient dans cette vie marginale du crime et du proxénétisme? C'était caché, c'était tabou, on n'en parlait peu dans les médias de peur de se faire traiter de raciste, on classait la nouvelle du xième règlement de compte aux coups de couteau dans les "faits d'hiver".

S'il trouvait un emploi honorable, notre migrant illégal devenu légal qu'on voyait célébrer dans les publicités télévisées (c'était lui en couple avec une Blanche - celle-ci aime la queue nègre écrivait Toussaint- , ou avec un Asiatique, ou avec ses deux amis Québécois -improbable-) pouvait éventuellement envoyer de l'argent à la mère patrie ou à sa mère biologique restée dans ce trou exotique des mers chaudes de l'Atlantique.

C'est ainsi qu'après quelques années, on réalisa que l'économie d'Haïti, son PIB, devait à ces exilés une grande partie de son pourcentage. Additionné aux aides que le Canada et le Québec donnaient chaque année, on atteignait plusieurs milliards de dollars.

Le président d'Haïti eut un jour l'idée d'inciter ces donateurs si généreux à venir jouer les touristes dans son île chérie. On construisit un hôtel à la pointe de l'île, loin du fracas et du danger du centre-ville de Port-au-Prince. Puis une sorte de centre culturel, puis une modeste clinique qui devint presque un petit hôpital : des épiceries, un cinéma, une salle de bowling, des bars, un casino ; le village grandissait chaque année faisant le bonheur des promoteurs et des élus locaux qui touchaient une prime au passage. Tout le monde était content ou presque.

Après trois ans de développement, se créa sur l'île, ce qu'on appela le Petit Québec d'Haïti, un vrai village, une sorte de banlieue lointaine du Québec. Les Québécois qui avaient l'habitude d'aller en Floride changèrent de destination et privilégièrent d'année en année ce lieu de villégiature où on acceptait le dollar canadien.

Parfois, il y avait des vols, des descentes de truands qui avaient senti l'argent. C'est pourquoi il parut nécessaire d'assurer la sécurité des Québécois en transformant le Petit Québec d'Haïti, on prit l'habitude de le nommer le PQH, en territoire fermé et sécurisé par une large murale. C'était déplaisant mais nécessaire. 

Les journalistes gauchistes d'Haïti s'en formalisaient, dénonçant cette forme de colonialisme, cette invasion de riches dont la prospérité leur paraissait indécente par comparaison avec la pauvreté générale de l'île.

En revanche, de nombreux Haïtiens y trouvaient leur compte en travaillant dans le "village québécois". De plus, les taxes que payaient l'hôtel du village québécois donnaient au gouvernement d'Haïti de bonnes rentrées d'argent canadien qui s'ajoutaient aux sommes que les exilés et les gouvernements mondiaux donnaient à l'île de souffrances. De nombreux touristes québécois ne manquaient pas d'aller se promener dans le reste de l'île et contribuaient à l'économie locale. Houspillés par les uns mais appréciés par d'autres.

Tout changea après une tempête tropicale qui laissa plusieurs Haïtiens encore plus démunis que d'habitude. Le grand écrivain Toussaint Dessalines qui s'était installé à New York après avoir épousé la chanteuse haïtienne des Fudgee, qui ne chantait que pour un public noir par fierté militante, écrivit pour la presse haïtienne une diatribe où il vilipendait les touristes québécois qui ne manquaient de rien alors que son peuple manquait de tout.

Le directeur de l'hôtel prit l'initiative d'organiser dans les principales villes une distribution de produits de première nécessité, ce qui calma en partie les détracteurs de ce "Colonialisme 2.0", selon le titre de l'article de Toussaint Dessalines.

Puis la malchance s'abattit à nouveau sur l'île maudite. Un tremblement de terre qui détruisit les habitations fragiles de la population, en fit mourir plusieurs milliers, et laissa des millions de crève-la-faim errant dans les rues non pavées.

Un soir, on les vit descendre en groupe, armés de machettes, encouragés par la presse furibonde de gauche qui dénonçait ces riches qui avaient amené le malheur sans le partager.

Les enragés pénétrèrent dans l'hôtel pour piller, prendre les réserves de nourriture. Le directeur tenta de les calmer mais en vain. 

Quand les gardes de sécurité tentèrent de stopper la meute, tout dégénéra. Un des gardes fit usage de son arme, ce qui décupla la rage des Haïtiens qui le découpèrent à la machette et, pour l'exemple, ils soumirent le directeur au supplice du pneu. C'était cruellement ironique puisque Denis Tremblay avait été député du Petit Haïti québécois, il parlait le créole. 

Les touristes de l'hôtel s'étaient planqués et barricadés dans le casino. Puis ils sortirent à la queue-leu-leu par une sortie d'urgence pour se dissimuler dans un boisé. Ils étaient guidé par un employé haïtien de l'hôtel. De loin, ils virent une lueur rouge et sentirent de la fumée, et ils comprirent que le Petit Québec d'Haïti était en flamme.

L'employé de l'hôtel attendit qu'un calme relatif revint et il se rendit dans la capitale à l'ambassade du Canada. Il parvint à leur expliquer la situation et deux jours plus tard deux avions militaires vinrent les secourir pour les rapatrier. Ils croisèrent Toussaint Dessalines qui avec son passeport canadien dans le cou avait choisi de rentrer au Canada, paniqué à l'idée de rester à partager le sort peu enviable de ses compatriotes. 

Sans doute écrirait-il la version embellie de l'histoire, lui qui avait rappelé plus tôt dans son texte polémique sur le "Colonialisme 2.0" que le drapeau haïtien était le drapeau français auquel on avait arraché le blanc dans un geste de libération et de rage émancipatrice. C'était discutable, mais l'Histoire est écrite par les vainqueurs même à Haïti.








Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Los Americanos

De notre nature duelle, par Shri Ananda Levine

La Ferme des Murmures (nouvelle)